Aujourd’hui, quel pain mangeons-nous réellement ?

Le pain de mon enfance

Les ingrédients pour fabriquer le pain sont les mêmes depuis la nuit des temps : de la farine, de l’eau, du sel et de la levure…. enfin, normalement !

Mes parents étaient boulangers. Quand il était encore Mitron (apprenti boulanger), mon père fabriquait le pain avec du levain. Le levain une pâte obtenue par fermentation de farine (blé ou seigle), d’eau potable et éventuellement additionnée de sel. Elle est soumise à une fermentation naturelle acidifiante, dont la fonction est d’assurer la levée de la pâte. La pâte fermentée n’est pas utilisée comme seul agent de fermentation (ou très rarement), son action est complétée par un apport de levure fraîche.

Plus tard, il a utilisé de la poolish. C’est un levain sur sucre c’est à dire qu’on ajoute de la levure à la farine et à l’eau. Il est moins contraignant et plus rapide à préparer. A l’origine, la poolish a été mise au point pour économiser la levure industrielle alors assez onéreuse au début de sa commercialisation. A la différence du levain, la poolish est liquide.

Que ce soit l’utilisation du levain ou de la poolish, la fabrication sur pâte fermentée donne au pain des caractéristiques particulières: une mie plus alvéolée, bon développement du goût et des arômes, amélioration de la conservation.

Aujourd’hui, quel pain mangeons-nous réellement ?

Il y avait 50 000 boulangeries artisanales dans les années 1950 contre 33 000 en 2017. Toutefois, le nombre de boulangeries-pâtisserie en France a augmenté ces dernières années avec 304 créations en 2016.
Le pain au levain a été largement remplacé par le pain blanc à la levure de bière, dès son apparition au début du vingtième siècle. Il est vrai que le pain au levain a une légère acidité et est moins léger que le pain blanc.
Mais dans les années 80, la législation européenne autorise de plus en plus d’additifs, la filière pain s’industrialise, le pain blanc est standardisé, perd en qualité, il devient fade et rapidement sec. Cela est une évidence, mais il n’y a pas que çà ….

Pour protéger l’un des symboles de notre gastronomie française, le pain, les boulangers se sont mobilisés. Il aura fallu un décret (le « décret pain » de 1993), pour encadrer la fabrication du « pain de tradition française » et le pain au levain :

Le pain de « tradition française »
Non surgelé, sans additifs chimiques, il est composé de farines de blé, d’eau, de sel, additionné de levure ou de levain. Sont autorisés : trois adjuvants, mais en quantités limitées : les farines de fèves (2%) et de soja (0,5%), la farine de malt de blé (0,3%), ainsi qu’un « auxiliaire technologique » : l’amylase fongique et la levure désactivée (qui permet de réduire la quantité de sel). L’addition de gluten de blé est autorisée car c’est un constituant naturel des farines.

Le pain au levain
Il est préparé à partir d’un levain défini comme une pâte composée de farine de blé ou de seigle, d’eau et éventuellement additionnée de sel et d’autres ingrédients comme le miel, et soumise à une fermentation naturelle. Le levain donne des produits plus typés, avec une petite pointe d’acidité. Il favorise la tolérance digestive du gluten et améliore l’assimilation des composés minéraux du pain.

Le « pain courant français »
Plus on s’éloigne de l’appellation « pain de tradition française », plus la liste des produits autorisés qui entre dans la composition du pain s’allonge. Ces produits sont appelés des « améliorants« . Ils sont généralement ajoutés directement dans les sacs de farine par la minoterie. La plupart des boulangers ne savent pas exactement de quoi est constitué leurs sacs de « farine moderne ».

Extrait du SYFAB (Syndicat national des Fabricants de Produits intermédiaires pour boulangerie, pâtisserie et biscuiterie) :

* Les mixes désignent le mélange homogène de divers ingrédients prêt-à-l’emploi ou à utiliser en mélange avec de la farine, permettant la fabrication simplifiée de produits de boulangerie tels que pains spéciaux, viennoiseries ou produits de boulangerie fine. Ils se dosent généralement à plus de 50%, souvent 100 %.

* Les améliorants de panification sont des formulations composées d’ingrédients, d’enzymes et/ou additifs entrant, généralement en faible quantité et dans un but technologique ou organoleptique, dans la fabrication du pain, des pains spéciaux et des produits de la boulangerie fine.

La composition des améliorants

* Les ingrédients les plus courants : gluten de blé, farine de blé malté, levure désactivée, germe de blé, farine de soja, farine de fèves, malt torréfié, levain déshydraté, dévitalisé ou désactivé, extraits de malt, gluten hydrolysé, fibres, dérivés laitiers (dont lactosérum), sucres (dextrose, fructose,…).
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Les enzymes les plus courantes : amylases, xylanases, glucose oxydases, cellulases, protéases, transglutaminases et lipases.

* Les additifs les plus courants (selon le produit de destination) : acide ascorbique (E300), lécithine (E322), mono- et diglycérides d’acides gras (E471), Datem (E472e), SSL ou CSL (E481, E482), texurants, L-cystéine (E920), sorbates (E200-203), propionates (E280-283), poudres à lever.

Ainsi aux adjuvants naturels autorisés s’ajoutent 14 additifs. Certains peuvent contenir des substances animales (y compris du lait et des œufs). Le E471 par exemple est un agent de texture dérivé de graisses alimentaires. Ces graisses peuvent être animales (porc, boeuf…) ou végétales (parfois d’origine transgénique: soja, maïs, colza).
Les additifs modifient les caractères organoleptiques et sensoriels des vendus en boulangerie. Comme par exemple : augmentation du volume du pain (E300 – E322 – E471) – conservation plus longue (E920) – rassissement plus lent (E471). Parmi ces numéros E, seul l’E322 (lécithine) peut être utilisé dans le pain bio.

Le boulanger peut utiliser ces mixes pour les pains variés : préparations pour pain de campagne, pain complet, pain au son, pain au seigle, pain aux céréales,… Le boulanger verse son mixe dans le pétrin, rajoute de l’eau, programme la vitesse et le temps de pétrissage …. et son pain est prêt à cuire.
Il est vrai que les « améliorants » facilitent la vie du boulanger : gain du temps de préparation, farine moins compliquée à utiliser, facilitée de gestion des stocks de matières premières, facilitée des commandes (un seul produit à commander), avoir toujours des qualités de « panification » optimales.

Bien que tous ces produits soient « considérés comme étant des composés non-toxiques et sans danger pour la consommation« , l’organisme humain n’a pas besoin de ces produits chimiques. Ils n’apportent aucun bienfait à notre santé. Au contraire certaines des substances ajoutées peuvent nuire à notre santé. Chez certaines personnes un effet allergène est possible.

De plus, contrairement aux médicaments dont les matières actives sont soumises à des tests et des autorisations de mise sur le marché, cette approche chimique de l’alimentation moderne ne tient aucun compte des conséquences possibles sur notre santé.

Hubert Bocquelet (Syfab) au magazine La Toque – novembre 2017 :

« la règlementation est stricte et impose pour certains produits un dosage maximum autorisé. La liste des additifs autorisés est également réévaluée : certaines substances peuvent en sortir quand leur avantage technologique est jugé déséquilibré par rapport aux risques supposés.  Par ailleurs, certains ingrédients issus d’allergènes majeurs (lait, oeuf, blé, soja, arachide, …) peuvent provoquer des réactions très vives chez certaines personnes sensibles. La règlementation INCO (Etiquetage des denrées alimentaires) impose de les indiquer désormais très clairement même sur les produits non pré-emballés. »

Les colorants et exhausteurs de goût sont interdits dans les pains de base. Les cramiques et pains aux fruits ne faisant pas partie des pains de base, ces matières y sont admises. Globalement les « pains spéciaux » correspondent à des mixes préparés par les minoteries.

Vu sur le site Internet d’un concepteur fabricant de solutions ingrédients pour l’Industrie de la panification et la pâtisserie :

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Une autre question me perturbe ….. D’où viennent les additifs et enzymes qui entrent dans la composition des « améliorants » ?

Publié le 19 janvier 2018 (les Nouvelles de la Boulangeries) :

L’utilisation de charbon végétal dans les produits de panification semble rencontrer actuellement un certain succès auprès des professionnels. C’est pourquoi Dominique Anract (président de la Confédération nationale de la Boulangerie-pâtisserie ) a récemment rappelé à l’ensemble de la profession que le charbon végétal, considéré par la règlementation comme un additif (E153) n’est pas autorisé dans le pain. Néanmoins, si l’utilisation de colorants est interdite dans le pain (et pas uniquement dans le pain de tradition française), cela ne signifie pas que la coloration du pain est interdite : la coloration du pain peut se réaliser par le biais d’un ingrédient (et non d’un colorant). Les ingrédients tels que l’encre de seiche, le concentré de betterave, la poudre d’épinard, etc., permettent de colorer des aliments, et en l’occurrence le pain, tout en étant conforme à la législation.

Quid des pains achetés dans les grandes surfaces ?

Vous avez peut-être entendu parler de «l’affaire des pains polonais». Cela remonte à quelques années et concerne les pains que les supermarchés nous vendent comme pain «frais du jour» et «cuits sur place». La plupart d’entre eux sont en réalité fabriqués à l’étranger où ils sont cuits à 80% et congelés pour le transport. La grande surface achève alors la cuisson et le tour est joué. Un faux pain artisanal termine dans votre caddie. (Révélation RTBF – journalistes belges).
La France n’est pas épargnée : « Ils cuisent certes leurs produits sur place, mais sans spécifier au client que les pâtes arrivent surgelées d’usines à l’étranger, principalement en Pologne ». Henri Lemoine (syndicat des boulangers de Metz).
«La cuisson finale en magasin n’est là que pour rendre la couleur et le croustillant du pain. Et la farine est bourrée d’additifs ou d’améliorants qui servent à changer la couleur du pain ou à la faire gonfler encore plus fort».

Mais tout n’est pas perdu chez votre boulanger !

L’appellation Boulanger de France n’est décernée qu’aux entreprises qui le fabriquent sur place, du pétrissage de la pâte jusqu’à sa cuisson.
Pour obtenir cette appellation et ce label, renouvelable tous les deux ans, le boulanger doit adhérer à un charte. On trouve sur le site boulangerdefrance.org la définition suitance : « Un artisan Boulanger de France est fier de fabriquer ses pains, sa viennoiserie, ses pâtisseries et sa restauration boulangère.
La différence est considérable, surtout pour vous consommateurs. Et pourtant, cette différence ne se voit plus clairement depuis la rue.
C’est pour cela que la Confédération Nationale de la Boulangerie – Pâtisserie Française a  écrit une charte de qualité qui s’est transformée en une marque bien reconnaissable : Boulanger de France. S’il respecte la charte, l’artisan boulanger obtient la marque Boulanger de France et l’affichera pour vous, avec fierté. « 

Mais bon nombre de boulangers font encore du très bon pain sans toutes ces béquilles technologiques. A nous de faire le tri, et de privilégier les « pains traditions » ou « pain au levain ». Un pain « label rouge » ou « bio » permet aussi de consommer moins de résidus de pesticides.

A venir, un prochain article pour nous réconcilier avec l’un des symboles de notre gastronomie française : le bon pain, les boulangers et les paysans-boulangers